Belle formule, celle d’un sage : Alain Supiot, juriste et professeur au collège de France. Titre d’un article paru il y a quelques jours dans alternatives économiques qui vous demandera 10 belles minutes de lecture.
Quelques passages :
La crise financière de 2008 aurait dû sonner ce réveil du songe néolibéral. Mais elle a très vite été retournée en un argument pour « passer à la vitesse supérieure ». Ce mot d’ordre fut celui de l’OCDE, intimant en 2010 de ne pas remettre en cause « les principes prônés depuis de longues années », mais bien au contraire d’intensifier les politiques visant à flexibiliser les marchés du travail, à « réaliser des gains d’efficience sur les dépenses, notamment dans les domaines de l’éducation et de la santé et d’éviter d’alourdir sensiblement les impôts »
La seule solidarité qu’ait réussi à organiser l’UE est celle des contribuables pour sauver les banques de la faillite.
La question du sens et du contenu du travail a ainsi été évincée au profit des seules considérations de rendement et d’efficacité à court terme. Or cette éviction n’est plus tenable face à la montée des périls écologiques et sanitaires, qui sont du reste étroitement liés.
Nous sommes toujours sur cette pente lourde d’un pilotage des sociétés à partir d’indicateurs économiques, lesquels sont de plus en plus déconnectés des réalités vécues par les gens, qui prennent conscience du caractère insoutenable de ce modèle de croissance. D’où cette schizophrénie latente du discours politique, dont le « en même temps » est en France le symptôme: « Si vous voulez du travail, il y en a à 200 kilomètres d’ici, mais surtout ne dépensez pas de gasoil ! ». A l’échelle internationale, le système multilatéral est frappé de la même schizophrénie, dont témoigne l’oxymore d’un « développement durable », décliné sous forme de batterie d’objectifs et d’indicateurs qui visent à gérer la planète comme une entreprise.
Le meilleur ce serait que cette crise ouvre, à rebours de la globalisation, la voie d’une véritable mondialisation, c’est-à-dire au sens étymologique de ce mot : à un monde humainement vivable, qui tienne compte de l’interdépendance des nations, tout en étant respectueux de leur souveraineté et de leur diversité.
cet espoir est suspendu à la capacité des « élites » politiques, économiques et intellectuelles de se remettre en question, de faire retour sur elles-mêmes lorsqu’elles ont engagé leurs semblables dans une voie qui se révèle mortifère. Or cette capacité ne se manifeste guère que face à la catastrophe.
Le brave professeur Dupin, qui préside cette commission, n’a de cesse de s’étonner de cet aveuglement et aussi qu’on ait pu oublier à ce point l’importance de la poésie dans la vie humaine. Espérons donc voir nommer une commission de ce genre une fois jugulée la pandémie actuelle.