Dans un long et profond texte intitulé “Le Couronnement”, Charles Eseinstein pose les questions qui comptent et compterons de plus en plus. Ce texte me paraît fondamental et devra être lu et relu dans les semaines et les mois qui viennent par chacun d’entre nous.
Fermer les yeux, respirez profondément et prenez le temps de le lire en entier ou à défaut ces passages clés et en particulier le dernier passage qui montre de belles aimergences nées de la crise sanitaire.
S’il est une chose à laquelle notre civilisation excelle, c’est bien de combattre un ennemi. Nous accueillons avec plaisir les occasions de faire ce pour quoi nous excellons et qui prouvent la validité de nos technologies, de nos systèmes et de notre vision du monde. Par conséquent, nous fabriquons des ennemis, nous présentons la criminalité, le terrorisme et la maladie comme des enjeux “eux-contre-nous” et nous mobilisons nos énergies collectives dans tout projet envisageable de cette façon. Ainsi, nous présentons le coronavirus comme un appel aux armes, réorganisant la société comme s’il s’agissait d’un effort de guerre …tout en considérant comme tout à fait normaux la possibilité d’une apocalypse nucléaire, l’effondrement écologique et la mort de faim de cinq millions d’enfants.
La question pertinente pour moi est celle-ci : est-ce que je demanderais à tous les enfants du pays de renoncer à jouer pendant une saison entière, si cela réduisait le risque de mort de ma mère ou, d’ailleurs, celui de ma propre mort ? Ou bien : est-ce que je décréterais la fin des étreintes et des poignées de main humaines, si cela pouvait sauver ma propre vie ? Il ne s’agit pas de dévaloriser la vie de maman ni la mienne, qui sont précieuses toutes les deux. J’ai de la gratitude pour chaque jour où elle est encore avec nous. Mais ces questions soulèvent des interrogations profondes.
Quelle est la bonne manière de vivre ?
Quelle est la bonne manière de mourir ?
J’ai demandé à une amie médecin qui a vécu avec les Q’ero au Pérou, si les Q’ero intuberaient quelqu’un (s’ils en avaient la possibilité) pour prolonger sa vie. « Bien sûr que non, m’a-t-elle répondu. Ils convoqueraient le chaman pour l’aider à bien mourir. » Bien mourir (ce qui n’est pas forcément la même chose que mourir sans douleur) ne fait pas partie du vocabulaire médical actuel. Il n’existe pas de dossier médical pour savoir si les patients meurent bien. Cela ne serait pas considéré comme un résultat positif. Dans le monde du moi séparé, la mort est la catastrophe ultime.
La Guerre Contre la Mort fait place à la quête d’une vie saine et pleine, et on constate que la peur de la mort est en réalité la peur de la vie. Combien de vie allons-nous sacrifier pour rester en sécurité ?
Peut-être sommes-nous en train de vivre cette nouvelle histoire. Imaginez l’aviation italienne qui passe du Pavarotti, l’armée espagnole qui rend service et la police de rue qui joue de la guitare – pour “inspirer” les gens. Des sociétés qui accordent des augmentations de salaire inattendues. Des Canadiens qui lancent “Le colportage de gentillesse”. Le geste adorable d’une enfant de six ans en Australie qui offre l’argent qu’elle a reçu de la petite souris, un élève de 8ème année au Japon qui fabrique 612 masques, et des étudiants partout dans le monde qui achètent des provisions pour leurs aînés. Cuba envoie une armée en “robe blanche” (des médecins) pour aider l’Italie. Un propriétaire qui permet à ses locataires de rester sans payer le loyer, le poème d’un prêtre irlandais qui devient viral, des militants handicapés qui fabriquent du désinfectant pour les mains. Imaginez tout cela. Parfois, une crise reflète notre élan le plus profond, à savoir que nous pouvons toujours répondre avec compassion.